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La lenteur, Milan Kundera : lorsque l'expression "vivre pour les caméras" prend sens.

  • Photo du rédacteur: Ivana Haidara
    Ivana Haidara
  • 16 janv. 2023
  • 3 min de lecture



Mon passage favori :


“Le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli. De cette équation on peut déduire divers corollaires, par exemple, celui-ci : notre époque s’adonne au démon de la vitesse et c’est pour cette raison qu’elle s’oublie facilement elle-même. Or je préfère inverser cette affirmation et dire : notre époque est obsédée par le désir d’oubli et c’est afin de combler ce désir qu’elle s’adonne au démon de la vitesse ; elle accélère le pas parce qu’elle veut nous faire comprendre qu’elle ne souhaite plus qu’on se souvienne d’elle ; qu’elle se sent lasse d’elle-même ; écoeurée d’elle-même ; qu’elle veut souffler la petite flamme tremblante de la mémoire.”


Milan Kundera fait partie des plumes les plus chères à mon cœur en ce qu’il parvient toujours à trouver les mots adéquats pour décrire les ressentis les plus personnels et ainsi, les rendre universels. Amatrice de ces romans, je suis accoutumée à la manière dont il se sert de ses personnages pour parler à travers eux, tout en restant dans le cadre de la fiction. Étonnamment, je découvre dans La lenteur un format alternatif où l’on ressent cette prise de position et ces avis tranchants de manière beaucoup plus intense : Kundera, au travers de ses personnages, s’indigne, s’étonne, s’engage et se questionne.




Le cœur de l’œuvre consiste, encore une fois, à poser la question universelle et historique du rapport au temps. Dans un contexte des années 80/90 où la vitesse est le maître mot (accélérations scientifiques, progrès technique, nouvelles découvertes, conquêtes du monde et de l’espace, croissance économique, paix, etc.), Kundera décide de s’asseoir, de se taire, d’observer et d’apprécier.




"Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l’oubli."

Quand j’emploie le terme apprécier je fais référence au processus d’appréciation : l’auteur vient émettre de véritables jugements et décortiquer ce nouveau rapport au temps lié au spectaculaire. Pour ce faire, nombreux sont ces terrains de jeux : les médias avec la quête de la célébrité, l’art en évoquant des théorie telle que celle du danseur ou encore le sexe avec cette “course” effrénée à l’orgasme.


À mon sens, le format de l’ouvrage mérite une adaptation théâtrale : on passe d’un personnage à un autre de manière très vive et agréable à la fois. Chacune de ces petites histoires permettent à l’auteur de développer un nouvel axe de réflexion sur l’objet du livre tout en approfondissant le vécu et la psyché des personnages.


“Chaque nouvelle possibilité qu’à l’existence, même celle qui est la moins probable, transforme l’existence toute entière.”

J’ai été d’autant plus agréablement surprise à la lecture de la Postface de François Ricard qui m’informa que La lenteur est le premier ouvrage écrit directement en français par l’écrivain d’origine Tchèque. En toute honnêteté, la plume de Kundera y est tellement fidèle que si j’avais pas lu la postface, je ne m’en serais jamais douté. En effet Kundera comme à son habitude créée des persona type tel que celui du danseur, qui représente l'epitome de ce qu'il désigne comme une mise en scene de notre propre personne dans le sociétés modernes.




“Nous vivons tous sous le regard des caméras. Cela fait désormais partie de la condition humaine.”







Ma génération est friande d’expression idiomatique pour décrire les autres ou une manière d’être. En ce moment, l’expression “Vivre pour les caméras” fait fureur sur les réseaux sociaux. Cette dernière désigne une attitude consistant à effectuer des actions uniquement dans le but d’attirer l’attention d’autrui. Cet autrui, cet “autre”, peut être nos amis, nos amours mais aussi les internautes ou nos “followers”.



Cet “autre” est selon moi le même que celui décrit par Kundera ce qui rend sa lecture d’autant plus actuelle : cet “autre” c’est cet “infini sans visage”, ce public qui fait face au danseur, cette abstraction. En cela, La Lenteur est un roman d’une actualité indéniable alors même qu’il a été écrit dans un contexte ou les réseaux sociaux par exemple n’existaient pas.





Comme chaque roman de Kundera, même si il est censé s’agir d’un “roman où aucun mot ne serait sérieux”, on est amené à faire de nombreuses pauses, poser l'ouvrage et entrer en soi, faire resonner toutes ces interogations et se questionner : ici sur le rapport au temps, à l’oubli, à l’autre et surtout à soi même.






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