La misère est si belle, PNL : misérables ou miséricordieux ?
- Ivana Haidara
- 3 oct. 2022
- 11 min de lecture

J'suis triste comme d'hab
Dans cette première strophe Ademo, qui est souvent celui qui se charge du premier couplet, débute in media res dans le ton de la chanson. La première phrase à elle seule résume l’entièreté du message que veulent faire passer les deux frères, àsavoir que la tristesse, souvent issue de la misère, est un état constant avec lequel il faut apprendre à vivre.
Fuck c'est pas la peine de réfléchir
La phrase suivante le décrit d’ailleurs très bien : il y a un réel étouffement de ce sentiment de tristesse misérable qui fait désormais partie de lui et qui le construit, lui et sa musique. Mais comment les deux artistes vont ils à l’encontre de cela etcomment le fait de se construire dans la misère va les amener à se diriger vers un mode de vie bien particulier qui, à terme, fera leur succès?
La mélodie me fait du bien
J'pense plus à Gucci pour me vêtir
Parfois j'm'habille en geush, bats les couilles
Ici, Ademo évoque deux thèmes incontournables dans l’univers PNL : la musique et le rapport à l’habillement. En effet, les deux frères ont toujours loué les vertus de la musique en tant que force libératrice (individuellement) et fédératrice (ente les deux frères). Par ailleurs, la mode et les marques qu’ils affectionnent sont souvent mentionnés dans leurs chansons en tant signe distinctif.
L’antithèse entre la mention de la matraque de luxe « Gucci » et le fait de s’habiller «en geush » montre bien cette dualité paradoxale d’une culture hip hop qui aspire toujours à plus : de nombreuses marques telles que Gucci, Louis Vuitton, ou même Céline récemment avec le rappeur Gazo absorbent une nouvelle clientèle qui est celle de la culture urbaine.
Il est intéressant de constater que cette influence est double caf désormais ce sont ces mêmes marques de luxe qui diversifient leur offre en créant des ensembles de survêtement ou ds bob par exemple, signes distinctifs de la période hiphop/break dance dans le Bronx des années 80s.
Plaire à qui, à quoi, pour quoi faire?
S’en suit cette phrase interrogative rhétorique dans laquelle le rappeur questionne ce mode de vie. Certes la volonté de se distinguer par les marques de manière ostentatoire est un passage inéluctable lorsqu’on est issu de ce qu’il appelle « la misère », mais en grandissant et avec le temps, thème récurrent chez PNL qui fera d’ailleurs l’objet de la phrase suivante, le rappeur se rend compte qu’il ne sent jamais autant lui même que dans sa misère brute qui elle lui appartient.
Les années passent comme la galère
J'rêve toujours de cette maison sur la mer
Le temps en effet, force infinie incompressible et mystérieuse, est un concept qui jalonne l’univers PNL. Cet univers est marqué par la présence de nombreuses forces de la sorte telles que les astres, l’espace ou encore la religion et le culte. Établir un parallèle entre les années, le temps et la galère, la misère est interessant car la misère devient comme je l’ai mentionné un état constant, un mode de vie et non un état de crise. Pour autant, cet état de crise ne l’empêche pas de rêver, d’aspirer à plus, à s’en sortir et à atteindre la notion de plénitude qu’évoque la mer.
Y'a eu des bons moments mais beaucoup moins que ceux noirs
Qui s'installent dans mon regard, dans mon miroir
Ademo approfondit ici de plus en plus profondément la réflexion : la misère le marque, à tout jamais elle s’immisce dans ses iris et change le regard qu’il va porter sur le monde par la suite et sur lui même. En effet, le terme « miroir » évoque lereflet non pas du corps mais de l’âme : les moments « noirs » s’installent , ils ne sont pas passagers, ils s’installent véritablement dans le regard du rappeur qui n’a d’autres choix que de cohabiter avec eux.
Igo c'est no comment, vécu de poissard
Va savoir pourquoi j'ai plus rien dans le tiroir
Les rimes suivis en « oir », sonorité creuses et rauques qu’Ademo porte avec merveilles, permettent de toujours plus descendre dans mes abimes de sa réflexion avec des thèmes comme la nécessité, le manque, indissociables de la misère.
J'sors un sourire, j'me dis qu'il est faux
C'est pas normal d'être si malheureux
J'dors pas à deux heures, j'me dis qu'il est tôt
J'vois mes démons mais j'suis pas peureux
Cette cohabitation peut s’avérer difficile et amènent souvent à des comportements tels que les rires jaunes ou les faux sourires : les bons cotés de la misère sont difficiles à voir au début et le sentiment d’injustice grandit de jour en jour : pourquoi moi ? Pourquoi nous ? J’imagine que ce sont les questions que se posaient les deux rappeurs.
On a ensuite une nouvelle mention du rapport au temps qui est distendu : les journées sont ses nuits et inversement. Les choses se mélangent, les démons sortent le jour ou me^me ne sortent mêle plus car ils sont libres désormais, si libre qu’Ademo n’est plus effrayé.
La solitude c'est juste une te-pu
Être accompagné de ces faux serait une partouze
Et ce soir j'fume, j'suis torse nu
J'suis devenu aussi vide que ma trousse
Ici, Ademo décrit une mise en situation qui décrit sûrement le jeune rappeur, seul, le soir, accompagné par la drogue, en pleine réflexion. Ce passage est éponyme de l’univers PNL, cette situation, de réflexion en fin de journée, allongé ou assis torse nu sur un toit ou dans son lit, fait forcément écho dans le subconscient de nombreux de leur auditeurs qui eux aussi souvent issus de la misère, ont vécu. Cette strophe finit par une nouvelle mention de la nécessité avec la trousse vide : cette misère se voit aussi scolairement. Même si le rappeur ne s’attarde pas trop sur le sujet, faire référence ici à l’école est très fin car c’est aussi un lieu où se confrontent les misères et où elles se fédèrent.
Faut s'en sortir Tarik
La vie c'est ça Tarik
Tu les encules Tarik
Un jour viendra no panic
Cette strophe est empreinte de poésie : deux heptasyllabes qui embrassent deux hexasyllables. Cette structure donne un rythme plus rapide à la chanson. Aussi, c’est le moment ohm le rappeur s’inclut personnellement dans la réflexion en utilisant son prénom « Tarik », en se parlant à lui et à toutes les versions de lui même, en répétant les phrases qu’il a du se dire étant plus jeune. L’enchaînement est fluide et résume la réflexion de la chanson : la misère est là et ne partira pas, il faut cohabiter avec et garder espoir. En attendant, il faut savoir l’apprécier cette misère, comme les deux rappeurs le décriront dans le refrain.
Ma foi, les larmes sont brûlantes
Oh mon dieu, j'attends les dés et vite
La roue a tourné ou peut-être pas
Au fond tout ça c'est toi qui décides
On aborde ici le thème de l’impatience, la misère, le manque, le vide et la nécessité donner faim et peuvent amener à faireles mauvais choix : cette jeunesse misérable qui a la « dalle » est parfois trop impatiente et se retrouve dans des situations où elles ne peut même pas dire si ces derniers sont des succès ou pas, d’où la troisième phrase : typiquement si l’on réussitdans le traffic de drogue : la roue a-t-elle vraiment tourné ?
Y'a pas d'amour qui tienne
J'les laisse croire qu'ils connaissent tous ça
Si ils savaient ce que ça veut dire, ce que ça comporte
Mais bon comme on dit qui vivra verra
On a toujours ce « nous » opposé à ce « eux » sans réellement savoir de qui parlent les rappeurs. Quoiqu’il en soit cette opposition est si forte que la communication est impossible : les deux groupes vivent deux realités complètement opposés.
Hey, c'est la vie, la vie ma belle
Wow, ce pauvre récit moi j'le trouve beau
T'façon la misère est si belle
Khey
Vient le refrain : ces phrases font partie selon moi des plus beau vers de la plume PNL. On a tout d’abord cette interpellation « hey » qui appelle l’auditeur. S’en suit la deuxième phrase « ce pauvre récit » qu’Admet trouve beau n’est pas si pauvre que cela. En effet de quel pauvreté parle le rappeur ? De celle qu’il a vécu dans la misère donc en pauvreté économique, ou de pauvreté culturelle et conceptuelle ? En effet dire d’un récit qu’il est pauvre veut généralement dire qu’il lui manque de la profondeur, du contenu. Quoiqu’il en soit, cette pauvreté, PNL l’embrasse et l’accueille car « T'façon la misère est si belle ».
Hey, toute l'année je les aime
J'rêve d'un avenir heureux pour eux
Car au fond sourire nous va à merveille
Ici on à une inclusion forte : de qui parlent les rappeurs quand ils disent qu’ils les aiment, qu’ils rêvent d’un avenir heureux pour eux? De ceux qui vivent la misère comment eux : finir le refrain par la première personne du pluriel « nous » donne encore davantage de mélancolie au refrain : l’auditeur est inclus dans le récit : il y a une belle volonté de montrer que nous partageons tous cette situation.
La misère est si belle (zoo)
La misere est si belle (Gag')
La misere est si belle (7G)
La misère est si belle (bât' C)
La misère est si belle (zoo)
La misere est si belle (Gag')
La misere est si belle (7G)
La misère est si belle (bât' C)
Poursuivre avec cette anaphore est très bien pensé par PNL : les rappeurs jonglent entre la répétition du titre du morceau et la mention de lieux, de personnes ou de concepts qui font partie de cette misère mais qui sont beaux à leurs yeux en ce qu’ils les ont construits. On retrouve aussi le paradoxe entre opposition et fédération car les deux frères se partagent chaque vers et créent un va et vient sonore équilibré grâce à leur timbre de voix différent.
Le gyro' dans la ville, je ne crains rien loin de l'illicite
Mais j'traîne dans la rue
Parce que je l'aime depuis que j'l'ai tté-qui
J'croyais que j'l'oublierais, ouais, comme une fille facile
Je la rejoins pour péter ma graine je fais 22 a la street
NOS prend le relais : il va rester dans la même dynamique de dualité que son frère en allant entre plus loin dans la réflexion et en abordant de nouveaux thèmes tels que l’amour et le sexe. En effet dans cette strophe le rappeur fait une métaphore entre la rue et une femme : cette dernière, qui en réalité représente la misère lui manque depuis qu’il s’en sorti. On a encore là le sujet de la difficulté de s’adapter à un mode de vie autre que celui de la misère. Cela se rapproche du thème bourdieusien de désintegration venant de la théorie de l’espace social qui décrit une rupture d’identification violente lorsque l’on change de classe sociale et donc de mode de vie.
Tu sais qu'est ce que j'aime, ceux qui nous ressemblent
Parce que la peine et la haine nous rassemblent
On retrouve le thème de la fédération de la solidarité dans la misère qui n’est plus a démontrer et qui st un principe très répandu dans le monde car présent dans les trois religion du Livre : le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam. C’est étonnement dans la misère que les populations se soudent, s’aident car elles n’ont plus rien à perdre.
Envie de goûter au vent, étouffé par le temps
Rien n'est plus comme avant, un peu comme les gens
Mais j'ai gardé le sourire, pas prêt à accepter le pire
Rappel ici de cette quête de liberté innocente que le rappeur devait avoir plus jeune mais qui a elle aussi été victime du temps :; « étouffé ». Le temps comme je l’ai déjà mentionné fait partie de l’ADN PNL : ici, il fait référence au fait que, comme la mentionné Ademo, les années passent, les gens changent et le retour en arrière, dans cette misère innocente et confortable, semble impossible.
Encore une fois on évoque aussi l’espoir, l’ambition.
Mon cœur perd de sa couleur
Mon amour pour l'amour se meurt
Si j'partage ma douleur j'le ferais avec mes démons
Ils comprennent mon côté sombre
NOS utilise des termes de plus en plus conceptuels et en même temps tellement parlants : avec le temps encore une fois, cette joie de vivre, cette innocence misérable se fait rare, disparais, se tasse et par là même ses émotions. Cependant, le rappeur ne prétend pas être devenu un glaçon dénué de sentiment : il explique que ce sont d’autres émotions qui le dominent désormais, à l’instar de ses démons qui eux le comprennent. Mais d’où vient ce changement si brutal ?
J'étais drogué dans la vie, remonter ça d'Espagne
Pour des meilleurs tarifs, pour aller plus vite que les grammes
Ce sont bel et bien les expériences de NOS et Ademo qui expliquent ce revirement : cette misère insupportable parfois lesa poussé à faire des bêtises, à vendre la mort. La drogue, le trafic et même les effets de la drogue sont aussi des thèmes omniprésents dans l’unoievrs PNL, comme en témoignent des morceaux tels que jusqu’au dernier gramme ou "Je vis je visser".
Ils veulent tous des feats, avec Tarik on a dit nan, nan
On les baise, on est quitte dans quelques billets de 500
Le succès par la même occasion attire le vice, les envieux et les profiteurs : concepts nouveaux pour les rappeurs habitués à leur misère innocente, marquée par le partage et la débrouillardise.
Éducation de la cagoule
Même si je me barre, c'est tatoué
Incompris dans la foule
J'abandonnerai la vérité
Dans les coins sombre, j'ai mordu à l'hameçon
Dans la lumière, récité la leçon
Maintenant que j'te connais mieux
J't'en veux pas d'être une merde
On reprend le thème de l’école, instance de socialisation primaire, puis celui de la dérive, physique (dans l’espace) mais aussi mentale (dans la psyché). A l’instar de son frère lorsqu’il prétendre « ne plus se poser de questions » NOS fait le choix d’abandonner la vérité, retenir ses erreurs et avancer. Ce sont ces même erreurs qui évoquent par liste encore une fois le thème de la miséricorde, du pardon dans la dernière phrase.
Faut que j'quitte la terre, pirate veut reprendre la mer
Mais les océans se sont en allés
Comme les fours de G.A.G
Comme les tours de mon ZT
A la monnaie ressemblaient nos journées
Partir à l’aventure, mais où ? Les océans pourraient correspondre ici à une métaphoredes opportunités de vie, des moyens de s’en sortir qui se font rares.
On sait d'où l'on vient sans savoir où on va
Mais on tordra des âmes de rats
Il existes un proverbe ouest africain qui dit « peu importe où tu vas n’oublie jamais d’ou tu viens » comme on l’a compris dans le reste de la chanson : le passé des deux frères est leur marque de fabrique, ce qu’ils racontent. La misere en est le ciment et ils font le choix de naviguer, toujours avec cette même ambition sans savoir où aller.
Aucune question pour l'homme
Sans réponse, j'cherche les sommes
J'fais des rires de haines
Je veux moins le monde plus ce que j'aime
Cela se traduit par la recherche de l’argent sans même savoir quoi enfin faire et les faux sourires du premier couplet se transforment en rire de haines.
Hey, c'est la vie, la vie ma belle
Wow, ce pauvre récit moi j'le trouve beau
T'façon la misère est si belle
Khey
Hey, toute l'année je les aime
J'rêve d'un avenir heureux pour eux
Car au fond sourire nous va à merveille
La misère est si belle (zoo)
La misere et si belle (Gag')
La misere et si belle (7G)
La misère est si belle (bât' C)
La misère est si belle (D5)
La misère est si belle (D4)
La misère est si belle (RER D)
La misère est si belle (RER C)
La misère est si belle (Ivry)
La misère est si belle (Corbeil)
La misère est si belle (Paname)
La misère est si belle (ouais, bât' C)
La misère est si belle (Nabil)
La misère est si belle (Karim)
La misère est si belle (Goku)
La misère est si belle (Milwaukee)
La misère est si belle (mes cafards)
La misère est si belle (ma cave)
La misère est si belle (mon hall)
La misère est si belle (mon toit triste)
La misère est si belle (Baba)
La misère est si belle (Habiba)
La misère est si belle
La misère est si belle (à ma vie)
On finit encore avec cette anaphore qui clôture le morceau de manière rythmée et empreint encore plus de mélancolie. On a un veritable inventaire des éléments marquants leur misère personnels, l’endroit où ils ont grandis et qui les construit. Cela rappelle la couverture de l’album du groupe de rap français des annes 1990 113 « Princes de la ville ». On retrouve ici beaucoup de lieux comme le toit mais aussi les transports en commun qui sont un thème qui va tout de suite parler au public cible, typiquement celui qui prends le ter et connaît le quotidien et la réalité de celui ci. On a aussi l’évocation de personnage éponyme tels que Goku, de personnes importantes comme eux même mais aussi leur père et on finit avec un raccord prenant : le dernier vers est le seul qui raccorde le début de la fin de la phrase « la misère est libelle à ma vie ». C’est, comme la première phrase de la chanson, un beau résumé de la philosophie du morceau, de cet album deux frères qui est surement l’un des plus personnel du duo et de leur évolution.
La misère est si belle est un cri étouffé d’une jeunesse qui essaye de se sortir de cette misère tout en servant d’elle, de sa réalité, en racontant ce qu’elle est pour atteindre le succès. Or les affres de celle ci sont toujours présents et on ne quitte jamais réellement la misère : La misère est si belle de PNL est aussi une reappropriatioon de cette misère : PNL sait qu’elle fait partie d’eux, avec le bon comme le mauvais et raconte, comme ils l’ont toujours fait, sa réalité.
Comments